Ou Atypique : un témoignage (partie 2)
Je me suis toujours demandé pourquoi tout semblait si étrange dans ma tête. Pourquoi je ne riais jamais au bon moment, ou pourquoi les blagues que tout le monde trouvait drôles me laissaient perplexe. Pourquoi certaines personnes m’adoraient, tandis que d’autres semblaient me rejeter instinctivement, sans que je comprenne ce que j’avais fait. En grandissant, on me répétait souvent que je n’avais “pas de filtre” ou “pas de tact”. On me disait de regarder en avant en classe, d’arrêter de poser trop de questions, ou qu’on aurait dit que je “parlais comme un livre”.
J’ai essayé d’être “normale”. J’ai tenté de me conformer, de m’effacer. Mais ça n’a jamais fonctionné. Alors, j’ai fini par me contenter d’être “excentrique”, une sorte d’outsider, avec très peu d’amis proches.
Pourtant, derrière cette façade, je doute de tout. Chaque mot que je dis, chaque geste que je fais, chaque post que je partage sur les réseaux sociaux est pesé, contrôlé, souvent doublé ou triplé de réflexions anxieuses. Cette quête de perfection est épuisante. Ma rigidité, cette obsession du contrôle, est une armure. Elle me protège. Mais elle me rend aussi vulnérable à tout ce qui échappe à mes plans, m’emplissant d’anxiété dès qu’une situation dévie.
Depuis toujours, les interactions sociales me taxent. En groupe, je me sens complètement inapte. Même un simple échange en tête-à-tête m’épuise rapidement. Après des années marquées par plusieurs burnouts, ma capacité à fonctionner s’érode. Je me compose une version de moi-même pour travailler quelques heures par jour, mais, une fois seule, je m’écroule.
C’est mon corps qui m’a poussé à chercher des réponses. L’insomnie chronique, les douleurs neurologiques, l’hypersensibilité sensorielle… Les médecins que j’ai consultés au fil des ans étaient perplexes devant cet amalgame de symptômes. Il a fallu des années de recherches personnelles pour enfin trouver une piste.
Lors de mon évaluation neuropsychologique, pour la première fois, quelqu’un a écouté mon vécu et m’a offert une explication cohérente. Pour la première fois, mon parcours avait du sens. Toute ma vie, je m’étais sentie décalée, à la recherche de réponses, convaincue que mes difficultés étaient des “traits d’artiste”, des épreuves à surmonter, ou peut-être même un défaut héréditaire. Mais les signes étaient là depuis toujours, surtout dans mes relations, que ce soit en amitié ou en amour.
Aujourd’hui, je suis dans mon quatrième burnout. Mon énergie est si limitée que je ne parviens qu’à maintenir le strict minimum : ménage, hygiène, organisation. Ces tâches, pourtant banales, me demandent une énergie considérable. Lire, dessiner pour le plaisir, ou même regarder la télévision m’épuisent souvent. Ce que je ressens, c’est un besoin urgent de temps, non pas seulement pour me reposer, mais pour me ressourcer réellement.
La tombée d’un diagnostic officiel vient avec un deuil. Celui de la vie que j’avais imaginée : les projets, les voyages, la croissance continue. Moi qui ai toujours cherché à me développer, je me vois maintenant envisager la fin de ma carrière, peut-être même une retraite anticipée, selon l’évolution de ma santé. J’accepte que ma neuroatypie s’accompagne de limitations. Mon objectif n’est plus une “guérison” illusoire, mais une gestion pragmatique et respectueuse de ma qualité de vie.
Pendant longtemps, ma quête de reconnaissance m’a motivée. Je voulais être “vue”, prouver ma valeur, devenir “quelqu’un”. Mon ambition dans le tatouage et l’entrepreneuriat était, en partie, nourrie par ce besoin. Mais aujourd’hui, je réalise que je n’ai plus besoin de paillettes. Les relations aimantes et sincères que j’ai cultivées m’apportent désormais une sécurité et une paix que je n’avais jamais connues.
Et pourtant, je lutte encore avec ce besoin de maintenir une image professionnelle parfaite, particulièrement en ligne. Toujours productive, toujours impeccable. Ceux qui me rencontrent en personne découvrent une version plus vulnérable de moi, souvent loin de l’image maîtrisée que je projette.
Je réfléchis beaucoup à la place que mon autisme prendra dans ma vie publique. Devrais-je le partager ouvertement, au risque d’affronter les stigmates et les clichés ? Ou devrais-je me protéger et garder cette réalité pour moi ? Je sens que pour être pleinement moi-même, je devrai déconstruire ces masques et abandonner ce contrôle constant. Une part de moi aspire à s’exprimer librement : chanter, danser, créer, même si cela signifie me présenter en pyjama, parce que je ne supporte rien qui pique, frotte ou serre. Ou encore accepter d’avoir l’air "bête" aux yeux des autres, puisque mes émotions ne transparaissent pas toujours naturellement sur mon visage.
Malgré les défis, je sens qu’un nouveau chapitre s’ouvre devant moi. Je ne sais pas encore exactement à quoi il ressemblera, mais je sais qu’il sera construit sur une base plus solide : l’acceptation et la connaissance de qui je suis, sans compromis. Certainement que ce chemin sera fait d’essais et d’erreurs, d’ajustements constants, mais je suis prête à avancer, à mon rythme, vers une vie qui me ressemble davantage. Je me permets d’espérer une existence plus douce, où mes limites deviennent des repères, et non des obstacles, portée par une vision simple, mais essentielle : être authentique, être libre, et, surtout, être en paix. Et peut-être, laisser une trace pour ceux qui viendront après.
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Melissa (mardi, 03 décembre 2024 23:48)
Merci du partage et de t'afficher dans ta vulnérabilité, tu écris tellement bien �J'adore te lire. Je trouve que tu est une artiste incroyable et une humaine qui ouvre l'esprit. Je te souhaite de trouver ta paix intérieure � Sincèrement ��
Je suis fière d'avoir une œuvre de toi �
You rock! Seriously! Je ne fais pas référence seulement aux multiples œuvres magnifiques que tu crée, mais à cette âme qui survit jour après jour au travers de multiples tempêtes.
Isabelle Rondeau (mercredi, 04 décembre 2024 07:52)
Je suis contente que tu as enfin les réponses que tu cherchais :)
Claudine (mercredi, 04 décembre 2024 09:37)
Ruby, quelle femme extraordinaire tu es! Ce partage reflète bcp la réalité de plusieurs. Tu ouvres la porte sur de nouveaux sentiers pour plusieurs d'entre nous. Prends soin de toi, tu es la seule qui puisse tracer ta propre route. Ne change pas pour personne, c'est comme cela qu'on t'aime � Sending you positive vibes & positive energies.