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Atypique : un témoignage

Les individus dits “à haut potentiel intellectuel” ou “surdoués” sont parfois qualifiés de “zèbres” dans le jargon psychologique.
Les individus dits “à haut potentiel intellectuel” ou “surdoués” sont parfois qualifiés de “zèbres” dans le jargon psychologique.

 

À l’aube de la quarantaine et après bientôt 20 ans de carrière comme tatoueuse, quand les gens m’approchent en me regardant ou en m’adressant avec admiration, ou quand on me complimente sur mon travail, ma première réaction est de me dire “mais comment ça se fait que personne a encore réalisé que je suis un imposteur, que je n'ai aucune idée de ce que je fais et que j’arrive à peine à fonctionner ?”.

 

Faire semblant d’être fonctionnelle, c’est un de mes plus grands talents. Des fois, on me dit : “tu as l’air si calme, si zen”. La vérité, c'est que j’ai conditionné mon visage à rester impassible, mais qu’au fond, je suis rongée d’anxiété, de manque de confiance en moi et j’arrive avec difficulté à m’engager quand la conversation est mondaine ou banale. Lors d'un rapport social courant, je me dissocie et je rente en mode analytique. Par conséquent, je souffre d’une “resting bitch face” et le fil de mes pensées est internalisé et divergent. Par exemple : j’ai un sens de l’humour décalé, le deuxième niveau est généralement perdu ou je ris au “mauvais moment”. Le père de mon fils me surnommait affectueusement "Drax" (pour les familiers de Guardians of the Galaxy).

 

Mon autre problème est que je manque de filtre. Ma sincérité est désarmante, parfois incompréhensible. On m’a souvent reproché mon manque de tact. Comme je l’ai mentionné, je ne lis pas bien entre les lignes. Je suis incapable de capter un contenu sous-entendu à moins d’être très attentive ou je l’ai loupé. J'ai donc appris à écouter beaucoup et parler peu. Faire parler l'autre et éviter de parler de moi. Longtemps, j'ai été la fille silencieuse, timide. 

 

Drax dans Guardians of the Galaxy
Drax dans Guardians of the Galaxy

Aussi, je me pose beaucoup de questions. Trop de question. Tout est deep, voir existentiel, tourmenté, jamais léger. Au niveau émotionnel, je perçois tout et je vis tout ce qui se passe autour de moi (lire : prendre tout sur mes épaules) avec une empathie débilitante alors que personne ne semble capter ce que je vis, moi. Même ma psy m'a dit une fois : "es-tu venu en thérapie pour me parler de la misère des autres ou de la tienne ?". Ça m'a secoué. À force de ne pas comprendre ou même exister comme mes pairs, j’ai fini par me penser stupide. D’ailleurs, c'est l’insulte que j’ai entendu à répétition des autres enfants dans la cour d’école. 

 

Tout mon primaire, même à l’école alternative, j’ai été “rejet” et intimidée. En plus, pour faire exprès, en plus d'être la plus jeune (j'ai bénéficié d'une dérogation pour commencer l'école un an plus tôt) j’étais quand même la plus grande (aujourd’hui à 5’9 et trois quarts, je passe inaperçue avec peine), la dernière en arrière de la file d’élèves. Être mise à part et avoir de la difficulté à rentrer dans le rang a toujours été ma réalité. Hommage au nom de mon blog : être “pas branchée” veut aussi dire être “pas cool”. Jusqu’à 14 ans, j’avais à peu près juste une amie et par la suite, je me suis intégrée en caméléon avec les “poteux” mon école secondaire.

 

J’ai eu mon diagnostic de “douance” très jeune, mais j’ai fini par l’ignorer. On penserait que d’être “doué” c’est un plus, un avantage. Je ne comprenais pas pourquoi je ramais autant socialement et surtout pourquoi je soufrais autant. Ça ne se met pas dans un CV et ça parait mal dans une conversation : “Ah tsé, moi, j'ai un QI supérieur à 130”. Ça fait juste arrogant et ça rend tout le monde mal à l’aise, un peu comme annoncer qu’on est porteur d’une maladie vénérienne. Alors comme les autres neurodivergents, on masque. On essaie d’avoir l’air “normal”. J’ai dit ça à une amie y a quelques semaines : que j’essayais d’avoir l’air normale. Elle s’est mise à rire fort en disant en bon franglais gatinois “as if que t’aurais une chance d'avoir ever l’air normale”. 

 

Pour palier à mon insécurité chronique (et de manière subconsciente, pour mériter l’amour et l’approbation), je me suis repliée dans le perfectionnisme et le contrôle (de moi-même et de mon environnement). La pression que je m’inflige de performer dans mon travail m’a conduite au “workaholism” ainsi qu’à minimalement 3 burnouts d’amplitudes variées. Mon besoin d’être irréprochable alors que j’enfile les faux pas et les malentendus m’a causé une grande détresse émotionnelle au fil des ans, un profond sentiment d’être dysfonctionnelle et une peur paralysante des contextes sociaux. J’ai aussi été dure avec mon corps. Mon désir de perdre du poids et la haine de mon physique m’a conduite à un certain degré de trouble alimentaire. Pour plusieurs années, le moindre écart à ma diète a engendré une quantité disproportionnelle de culpabilité. Je soupçonne que mon régime drastique et le stress internalisé ont mené à ma condition chronique actuelle, qui oscille entre le colon irritable, des douleurs neurologiques (genre fibromyalgie), une fatigue constante et une insomnie débilitante.

 

 

Il a fallu l’arrivée de mon fil et de son diagnostic TSA/TDAH pour commencer à m’informer sur la neurodivergence. Et OMG que j’ai commencé à comprendre des choses ! C’est en lisant le livre de Jeanne Siaud Facchin que j’ai compris que la douance (ou le haut-potentiel intellectuel) faisait en fait partie du spectre neuroatypique. J’ai commencé à faire plein de tangente avec la réalité des autistes et des personnes TDAH. Sans partager toutes les caractéristiques ou difficultés, certaines réalités se recoupent, et j’ai pu mettre en lumière les nombreuses difficultés de parcours depuis ma petite enfance. ENFIN. J’ai compris aussi pourquoi presque tous mon (petit) entourage, à première vue éclectique, est en fait composé de personnes HPI, TDAH ou Asperger (autistes). Ça va de soi, qui se ressemble s’assemble.

 

Pour citer quelques exemples, j’ai compris pourquoi encore aujourd’hui, je n’endure pas les textures rêches, les étiquettes ou les vêtements ajustés (e.g. les brassières). Le bruit ou la lumière intense m’agresse et m'épuise. Je dois baisser le son ou changer la musique pour quelque chose de plus doux ou de mieux accordé avec mon humeur, sinon ça m'irrite. C’est un gros effort de faire des câlins ou d’être touchée par des étrangers. J’ai toujours aimé “stimer” en secret : me balancer, tourner sur moi-même pour m’étourdir, flatter le gazon, etc. J’ai de la difficulté à garder le contact visuel avec mon interlocuteur et je traite l’information auditive aux moins deux fois mieux quand je regarde ailleurs. J’ai habituellement besoin de faire deux choses en même temps, sinon j’ai de la difficulté à me concentrer (bizarre, je sais). 

 

Être “pas branchée”, c’est aussi avoir de la difficulté à choisir. Toute ma vie, j’ai navigué de façon compulsive d’un projet à l’autre. Mes intérêts viennent par obsessions, à la fois brèves et fulgurantes. La seule activité dans laquelle je me suis investie à long terme a été le tatouage. Peut-être à cause du niveau de spécialisation et de contrôle que nécessite cette discipline. Pendant longtemps, j'ai choqué les gens en disant que je ne me voyais pas comme une “vraie” artiste. J’ai peu de capacité d’abstraction et je ne sentais pas que mon travail était “inspiré”. À mes yeux, mes dessins sont techniques, bien réalisés, bien composés, mais vides de sens. En fait, j’ai commencé à me qualifier d’artiste quand je me suis complètement dédiée à ce que j’appelle “mon style”. Possiblement dû à une forme de synesthésie (un autre trait neuroatypique), je vis souvent des sensations physiques intenses (que je ne qualifierais pas d’émotions, mais plutôt quelque chose de tactile, un fourmillement dans mes nerfs) quand je regarde certaines formes et certains jeux de couleurs, de textures ou de lumière, habituellement dans la nature. C’est cette poursuite un peu psychédélique et sensorielle est ce qui m’inspire aujourd’hui et que j’arrive mal à expliquer en mots.

 

 

Quand je regarde mon fils, maintenant âgé de 8 ans, tant souffrir socialement, j’ai mal. Je revis mes propres difficultés. Je pose un regard d’adulte sur un enfant “pas comme les autres”, qui passe comme “étrange” et “bizarre”, malgré sa grande sensibilité, son innocence parfois naïve, et son désir profond d’être aimé et accepté. Tous les jours, il essuie le rejet. Et malgré la sensibilisation sur “l’intimidation” et “la diversité”, je sais ce que les enfants lui disent quand les adultes ont le dos tourné. Ils le traitent de fatiguant et de stupide. Il sait bien qu’il est autiste et qu’il est “différent” mais lui souhaiterait être “comme les autres” et avoir des amis, les comprendre et se faire comprendre. J’essaie de lui témoigner la compassion dont j’aurais tant voulu bénéficier, lui expliquer que “maman aussi était différente”, que lui et moi, on se ressemble beaucoup, et qu’il mérite d’être aimé tel qu’il est, avec toutes ses particularités. Devant sa logique épatante et inédite, je lui dis qu’on est des rebelles et que c’est avec nos têtes bizarres qu’on invente de nouvelles choses et qu’on change le monde.

 

 

En même temps que j’apprivoise les besoins sensoriels particuliers de mon fils, j'essaie d'accommoder les miens. Par exemple, je ne me gêne plus pour porter mes écouteurs quand c’est trop bruyant, même si j'ai l'air mal polie. Je porte des vêtements amples et confortables, même si j'ai l'air d'être en pyjamas. J'essaie de m'exprimer de façon claire et authentique, ainsi que de bien verbaliser mes besoins et le fils mes pensées pour éviter les malentendus. Je me donne la permission de travailler moins, de prendre des pauses, de skipper un post, de dire non ou de déplacer des rendez-vous si mon énergie n'est pas au rendez-vous. J’apprends à dire que je suis neuroatypique quand j’éprouve des difficultés au lieu d’essayer de masquer.

 

True belonging only happens when we present our authentic, imperfect selves to the world, our sense of belonging can never be grater than our level of self-acceptance.  - Brené Brown
True belonging only happens when we present our authentic, imperfect selves to the world, our sense of belonging can never be grater than our level of self-acceptance.  - Brené Brown

De tout temps, j'ai recherché l’appartenance, alors que tous les marqueurs de succès ou de validation (surtout pour une femme) ne semblent pas fonctionner pour moi. Malgré mes accomplissements, une partie de moi se sent toujours comme un échec aux yeux de la société. L’acceptation de mes différences a été (et est encore) mon plus grand défi. De façon contre-intuitive, il m’a fallu 38 ans pour comprendre que d'embrasser qui je suis (au lieu d'essayer de fitter) était la première étape à franchir pour “trouver ma place”.  La réalisation d'être pas juste excentrique, mais en fait neuroatypique, me permet petit à petit de mettre fin à la honte et à la culpabilité, de crisser à la poubelle les conventions sociales une fois pour toutes, et d'accueillir la liberté de marcher complètement à côté du chemin battu, sans balises et sans guide.

 

À chaque jour, j’essaie de rester intègre et d’avoir le courage de tenir la lanterne, comme l'Hermite du tarot, et avec courage, inviter les autres “bizarres” à faire un petit bout de chemin vers l'affranchissement et la guérison.

 

Être surdoué, c'est l'émotion au bord des lèvres, toujours,

et la pensée aux frontières de l'infini, tout le temps.  

 

Jeanne Siaud Facchin - trop intelligent pour être heureux

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