Mon voyage au Mexique a été comme un petit îlot de bonheur dans un long hiver de dépression vraiment difficile. J'ai toujours plus ou moins souffert de problèmes existentiels pouvant jouer sur mon humeur et sur mon envie de vivre. Les choses allaient déjà très mal avec mon partenaire à la maison et à mon retour, j'envisageais les prochaines semaines comme assez difficiles, en cohabitation avec l'homme que j'étais prête à épouser quelques mois auparavant, mais qui déjà s'apprêtait déjà à quitter ma vie.
Mais au-delà des tumultes relationnels, j'avais vraiment le mal de vivre. Ça vient souvent avec cette certitude profonde que l'existence ne fait aucun sens et que mes actions sont sans importance dans un univers qui ne fait pas de discrimination entre le bien et le mal. Je souffre de mon nihilisme : une maladie mentale de riche.
J'ai été chanceuse, car j'ai eu un petit regain d'énergie en février. Quand mon partenaire a déménagé, j'ai tout de suite commencé à réaménager mon espace vital et à me sentir de mieux en mieux chez moi. J'ai pu bénéficier de quelques semaines de paix, toute motivée et optimiste que j'étais par le beau temps qui s'en venait et la prospective des festivals d'été pour lesquels j'avais déjà acheté deux billets. Je vis et je respire pour ces mois de chaleurs, pour le soleil sur ma peau, le camping et ces bains de foule au cœur de la nuit psychédélique.
Puis la COVID est arrivé. On l'a vraiment pas vu venir celle-là. Juste avant la deuxième semaine de mars, l’Ontario commençait à annoncer le lockdown et je sentais bien que ça s'en venait par chez nous. Quand le gouvernement a annoncé les deux premières semaines de fermeture des écoles, toutes mes cellules ont rapidement embrayé en mode suivie. J'avais assez d'économies pour tougher deux semaines (l'argent que je gardais pour payer mes impôts) but that's about it.
Pour faire court, j'ai vécu l'isolement en trois grandes phases. La première a été la survie et l'organisation. Comment allais-je m’en sortir sans travail avec tous les paiements, avant qu’on nous parle de prestations d’urgence, avec un enfant à la maison à entertainer par moi-même une semaine sur deux. Ce fut un 2-3 semaines vraiment stressant pendant lequel notre nouvelle réalité collective s’est ancrée peu à peu. J’ai de la chance. Je suis lucide. Je savais déjà qu’on ne retournerait pas travailler dans deux semaines, que ce qui s’en venait serait un marathon et qu’il me faudrait penser plusieurs coups d’avance, sans paniquer.
Une fois la survie passée et le rush d’adrénaline retombé, j’ai crashé. La dépression qui venait juste de se retirer me faisait de l'œil pas à peu près et, quand ils ont annoncé l’annulation de toutes les activités cet été, ça m’a fait un coup. Ça n'allait plus. Je me souviens vaguement m'être dit que j’avais deux choix : m'enliser profond et me demander si je voulais continuer à vivre cette galère, ou changer de perspective et une fois pour toute aller déraciner la source de ce mal-être. J’ai pris des mesures rapidement. Premièrement, je me suis coupé des réseaux sociaux en ne gardant que les nouvelles essentielles parce que ça devenait rapidement anxiogène. J’ai demandé à mes proches de m’informer s’il y avait quelque chose qu’il fallait vraiment que je sache. En un deuxième temps, j'ai commencé à faire une liste de choses à faire et à m'occuper. Comment rentabiliser au mieux ce temps libre pour en retirer le plus possible. J’ai travaillé dans le jardin, j’ai peinturé, j’ai cuisiné, fait le ménage, réorganisé… bref, je me suis distraite pour un temps, mais je sentais encore dans mon ventre le fond d’anxiété qui continuait de me tenailler. Je savais que j’allais éventuellement arriver à bout de projets dans la maison et que j'allais bientôt être remise face à face avec le void existentiel qui me taraude, devant moi-même, et qu'il me faudrait retourner à l'essentiel et qu’il faudrait que cet essentiel soit SUFFISANT pour me permettre de continuer à avancer avec la vie. Et pas avancer dans la survie, à bout de souffle dans le désert de l'existence, mais vraiment VIVRE et trouver ce qui me procure de la joie. Après m’être occupé de mon petit nid pour quelques semaines, j’ai commencé à ralentir et à me déposer.
Puis, au beau milieu de la première semaine de mai, le mardi plus précisément, j’ai décidé de faire du mush. Toute seule chez moi, en plein milieu de pandémie. Ça faisait quelques mois que ça me trottait en tête et que ça traînait dans mon congélateur. J’ai une relation spéciale avec les psilocybes et plusieurs de mes grandes réalisations de la vie et expériences spirituelles se sont passées avec l’aide de ce facilitateur magique. J’en consomme habituellement une à deux fois par an.
Il faisait beau dehors, une parfaite journée de printemps à 15 degrés Celsius, pas de nuages, pas de vent. C’était le milieu de la semaine et je n’avais plus aucunes responsabilités ou projets en cours. L'œil du cyclone. J’ai donc commencé ma matinée en préparant le setup de ma petite cérémonie privée. J’ai installé mon coussin de méditation dans mon studio, préparé un gros bol de fruits et installé mon hamac dehors au soleil avec un oreiller et une couverture, un speaker pour de la musique, un verre d’eau. J’ai barré la porte en avant, fermé mon cellulaire. Je ne savais pas où mon petit voyage allait m’apporter ni ce qui allait m’inspirer, mais je voulais tout à ma portée et me laisser flotter. C’est toujours un peu inattendu comme expérience, jamais la même chose, des fois très intense, des fois très long. J’étais prête.
J’ai jeûné pour la plupart de la matinée, à part quelques noix et un café. On dirait que mon corps, sachant ce qui s’en venait, se préparait instinctivement à recevoir la médecine, car je n’avais pas faim et je me sentais déjà flotter un peu, comme si j’existais entre deux dimensions. Vers 13h, j’ai préparé ma décoction en grindant un 2.5g de champignons au magic bullet puis en les laissant macérer dans le jus de citron pour une quinzaine de minutes. J’ai apporté ma mixture avec moi près de mon tapis de méditation et j’ai écrit mes intentions pour le voyage : conquérir ma dépression, intégrer l’énergie et les émotions des derniers mois, me recentrer, guérir de mes blessures émotionnelles, transitionner dans une nouvelle ère d’activité et d'ouverture à recevoir, reconnecter avec mon pouvoir intérieur et ma valeur, cultiver la joie et le bonheur (rien de moins). Puis, j’ai bu ma potion et me suis assise pour méditer, jusqu’à ce que quelque chose m’inspire et me mette en mouvement. Ça a commencé très doucement par des visions les yeux fermés (ça j’en ai souvent, même parfaitement à jeun). Je me souviens m'être trouvé dans une pièce sombre avec une lumière bleutée et m'être approché pour découvrir un magnifique lotus lumineux. Après environs 15-20 minutes de mouvements intérieurs, j’ai senti qu’il était le temps de me lever et de sortir à l’extérieur pour profiter du magnifique soleil de cette journée. Je pensais que j'allais avoir envie de bouger, de créer et de m'exprimer, mais non. Une fois installée confortablement dans mon hamac au soleil, j'ai carrément pris racine et arrêté de bouger COMPLÈTEMENT. Et pourtant, Pour les trois ou quatre heures qui ont suivi, je peux affirmer avoir probablement vécu le plus beau voyage de ma vie.
Je ne souviens pas de tous les détails de cette expérience magique, mais je me souviens m’être détendue totalement, emmitouflée dans une petite couverte douce et connaître un bien-être total. Après avoir continué ma méditation les yeux fermés pour un temps, j’ai pris conscience de l’énorme boule de tensions prise dans mon abdomen. En la berçant tranquillement dans ma psyché, j’ai fini par la sentir se dissoudre complètement, me libérant d’un énorme poids. De là, j’ai commencé dans ma conscience à dialoguer avec la lumière et la chaleur qui me baignait. J’avais conscience que cette lumière, cette énergie, se trouvait dans chaque cellule de mon corps. Que cette lumière, aux différentes fréquences et densité, devient la manifestation de toute chose matérielle et immatérielle. Que chaque particule en existence n’est en fait que lumière densifiée et cristallisée, et que chaque être et chaque objet devient un “prisme” qui filtre et réfracte cette lumière “pure” en un spectre de milliards de couleurs qui font de nous des expressions uniques. J’avais conscience de l’infinité de cette source d’énergie et qu'à travers cette connexion, il est possible de tout amener en manifestation. Que de maîtriser ou diriger cette énergie d’une forme à une autre est l’essence de la “vraie” magie.
J’ai ensuite amené cette perspective à ma situation actuelle et j’ai commencé à intégrer un paquet de petites idées et concepts qui me trottent dans la tête depuis longtemps par rapport à ma vie et mon “rôle” à jouer sur cette terre. Qu’en fait, je ne suis pas là pour sauver le monde ou rien changer ou même rien faire, mais juste exister pour être un miroir, un vecteur de transformation pour celles et ceux qui croisent ma vie. Sans geste spécifique ou action à poser. Juste en étant présente et attentive à ce qui se présente, sans juger, sans imaginer un résultat donné. J’ai pensé à comment j’aspire depuis longtemps à offrir un espace d'accueil et d’acceptation inconditionnelle pour mes clients, un lieu pour leur permettre d'être vraiment eux-mêmes et d’exprimer ce qui a besoin d'être exprimé, de transformer et transmuter. J’aime faire voir et sentir leur propre beauté et leur propre magie aux gens, même si c’est seulement pour un instant. Et dans la lumière qui me baignait ce jour-là, j'ai eu l’impression d’avoir trouvé un havre de paix à mon tour, un lieu non pas extérieur, mais intérieur à moi-même où je vois enfin ma propre beauté et ma propre magie. Un espace où je suis parfaitement nourrie, comblée et exaltée. Pleine. Et dans mon âme, j'ai enfin senti monter l'envie de danser, de rire et de jouer. J’ai beaucoup pleuré pendant ces quelques heures. Je me suis caché en dessous de ma couverte et je regardais les petites gouttes de lumières passer à travers les mailles du tissu et c’était la plus belle chose que j’ai jamais vue. J’ai fait l’amour avec le soleil durant de longs moments, comme une plante verte. Je suis redescendue vers 18h. Je me sentais bien et j'ai passé une belle soirée tranquille suivie d'une longue nuit de sommeil paisible.
Et depuis ce jour-là, ben je me sens fucking bien. J'accueille avec sérénité les vagues de mes fluctuations énergétiques, parfois active et productive, parfois réflexive et passive. Y a une voix qui a recommencé à me parler (oui, j'entends des voix de fois). Elle me dit : profite de cette pause pendant que tu le peux. Je ne sais pas ce que ça peut vouloir insinuer pour l'avenir ou ce qui me tiendra occupée dans les prochains temps, mais je sens que bientôt, y aura mouvement. La machine sera en branle et j'aurai de quoi m'activer (comme de fait, au moment où je finalise ce texte, on nous a annoncé le retour au travail des gens de mon secteur d’activité dans les prochaines semaines). Finalement, pour moi la COVID a été comme une longue vacance forcée pour me reposer et me remettre les idées bien en place, faire le point et bien écouter ce qui se passe en dedans, chose difficile quand nous sommes pris dans le tourbillon des distractions du quotidien. J’ai beaucoup de chance et j’en suis infiniment reconnaissante à la vie.
Pour la première fois depuis longtemps, j'ai envie de coloniser et d'habiter ma propre vie, déjà riche, déjà mature, déjà pleine de tout ce dont j'ai besoin. Je suis déjà riche de tout, j'ai pas envie de plus, mais j'ai encore envie de mieux (miracle!). J'ai envie de qualité, j'ai envie d'attention. De faire attention, de porter attention, d'attirer l'attention. Sur l'important. Sur les gens, sur ce qu'on vit, sur la richesse de nos émotions à travers l'expérience humaine. Sur l'importance des liens qu'on cultive. Ça fait longtemps que je le sais, ça fait longtemps que j'en parle, mais pour une fois, j'ai l'impression que je le feel vraiment. Et je m'accroche à ce feeling-là comme une bouée en mer. On se revoit bientôt de l’autre côté de la traversée!
Ruby
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