· 

Le mal de vivre

Problème individuel

 

Dans notre société occidentale contemporaine, on observe l’émergence d’un mal de vivre de plus en plus oppressant. Les gens sont malheureux, déprimés, malades chroniquement. Sans pouvoir toujours rationaliser leurs émotions, certains êtres plus sensibles parleront de sensation de vide, d’absence de but cohérent, comme si la vie en général semblait vide de sens réel. Daniel Quinn dans son livre (1) se penche en profondeur sur ce problème et pointe le doigt vers le mode de vie abstrait et irréel de la société de consommation. On nous a convaincus toute notre vie que notre existence se résume à travailler, consommer et mourir. Si bien que nous sommes totalement convaincus de la validité de ce mode de vie, alors qu’un doute plane et prend racine dans nos inconscients, créant toute sorte de sommations et de mal-être. On tente de s’évader dans les abus d’alcool, de nourriture, de drogues ou dans les divertissements. Aussi bien mourir tout de suite.

 

Un autre symptôme de ce mode de vie mensonger est la superficialité des relations humaines. On nous présente des modèles synthétiques, visuellement attrayants et politiquement corrects. Que ce soit le modèle de famille, les enfants gâtés de cadeaux étincelants pour compenser le manque de temps pour se parler ou le modèle de couple axé sur le physique, choisi par catalogue virtuel, vite acheté, vite jeté, pour éviter d’avoir à régler nos problèmes ou même de simplement apprendre à se connaitre.

 

Dans ce vide émotionnel, on voit naître toute une gamme de comportements compulsifs : sexualité malsaine, dépendances affectives, mensonge, agressions sexuelles ou violence psychologique. On cherche par des moyens négatifs et destructeurs à se nourrir de l’autre et ainsi combler le manque.

 

Problème de société

 

Depuis des centaines d’années, l’ensemble de la société occidentale envisage le futur exclusivement en termes d’avancée technologique, de la recherche médicale pour guérir les maladies à la conquête de l’espace. Il n’y a rien de mal à vouloir maitriser son milieu matériel. C’est le principe de survie de toute espèce animale : se faciliter la vie, avoir un accès facile à la nourriture, vivre le plus vieux possible et protéger sa progéniture.

 

Hubert Reeves se penche sur l’avenir de l’être humain. « En se demandant si l’humanité est capable de trouver sa propre place dans l’ordre de la vie, il insiste sur le fait que les espèces qui survivent sont celles qui sont capables de s’adapter à l’écosystème de la planète. Le problème, croit-il, tient dans les relations complexes entre l’intelligence et la nature plutôt qu’entre l’humanité et la nature et dans le fait que, « sur notre planète, c’est l’intelligence de l’être humain qui a dépouillé celle des autres espèces ». Comme de nombreux scientifiques, il est consterné par la manière dont les connaissances scientifiques ont été utilisées au service de l’humanité « qui poursuit ardemment son autodestruction ».»(2)

 

En cours de route, l’avancée technologique est devenue une finalité en soi (avancer technologiquement pour nous permettre d’avancer plus loin technologiquement) et a perdu de vue son but premier dans une spirale vertigineuse et sans apparemment fin. Le confort matériel promis dans les concepts de plus en plus artificiels et absurdes de travail et d’argent ne profitent finalement qu’aux quelques maîtres marionnettistes de la société de consommation. La répartition des ressources est aberrante, les droits humains de liberté d’expression, de vie privée, d’accès aux services de base sont en recul à une vitesse alarmante. Tout ce qui favorise un mode de vie autosuffisant ou en micro société est sauvagement éliminé sans donner d’excuses. Le mensonge est de plus en plus difficile à cacher lorsque la presque totalité des individus d’une société commencent à manquer de tout.

 

Une ère de changement

 

Depuis plusieurs années, on entend parler de changements, de révolutions. D’un côté spirituel ou religieux, les prophétisées « fin du monde » se multiplient et convergent à des dates de plus en plus rapprochées. D’un côté économique, on voit surgir de plus en plus de problèmes reliés à la fragilité du concept même de monnaie. Les spécialistes parlent de changement de paradigme commercial au niveau international. S’ajoute à tout cela tellement de tensions politiques et culturelles à travers le monde qu’il est difficile de suivre l’ensemble de l’actualité tellement les conflits semblent nombreux et complexes.

 

On a souvent tendance à croire, lorsqu’on vit une période de difficulté intense, que ces difficultés sont sans précédent, d’où cette notion récurrente « d’apocalypse » imminente. Qu’on ne se leurre pas. Il suffit d’observer un peu l’histoire pour réaliser que l’humanité a plus d’une fois été placé en situation de crise globale au fil du temps et bien que les transformations ne sont jamais agréables, à toute ère de perturbation suit une période de renouveau.

 

Dans le I Ching (3), le livre de sagesse chinoise vieux de plus de 4000 ans aussi appelé « livre des changements », on dit que plus une situation semble obscure et désespérée, plus notre cœur peut s’alléger. C’est un signe indubitable que l’aube est proche et qu’un nouvel ordre est sur le point de s’établir. Dans le tarot de Versailles et d’autres méthodes divinatoires ancestrales, la mort et la fin sont également annonciateurs de renouveau imminent.

 

Mon père m’a souvent parlé de l’analogie du papillon. Lorsque la chenille s’enroule dans son cocon pour effectuer sa transformation, le temps qu’elle y passe ne doit pas être très agréable. Il doit être très souffrant de se faire pousser des ailes, ça tire de tous les côtés, c’est inconfortable, on a l’impression d’être déchiré en deux. Puis un beau matin, sans prévenir, le papillon éclot et s’envole légèrement sans que personne ait eu conscience de son drame.

 

Tout comme dans l’accouchement, donner naissance à quelque chose de nouveau se fait inévitablement dans la souffrance.

 

Recherche de solution

 

Lorsqu’un individu plus sensible que les autres prend conscience de l’absurdité du monde actuel, un premier réflexe peut-être de vouloir endosser la responsabilité et s’investir de la mission de changer le monde. Plusieurs se lanceront dans diverses activités humanitaires ou écologiques, qui sont très louables en soi, mais souvent très énergivores pour le peu de résultats apportés. Réalistement, une seule personne ne peut prendre sur ses épaules le poids d’un tel projet. Il s’agit d’un travail de groupe. Certains individus tenteront alors de rallier les gens à leur cause de choix, de forcer fébrilement leurs idées de propagandes dans l’esprit de ceux qui les entourent encore une fois, ne recevant qu’une réponse de vague intérêt.

 

Auparavant, devant l’immensité de la question existentielle ultime de « pourquoi je vis? », les gens se tournaient vers la religion. Il s’agissait de la façon la plus sécurisante pour se réconcilier avec une vie pénible et avec la mort. De nos jours, devant le Recul de la foi, qu’est-ce qu’il nous reste pour parvenir à vivre au jour le jour, en tant qu’individu, avec les événements décris plus haut?

 

Dans la nature, tous les animaux veulent survivre, être protégés et se reproduire. Ce qui distingue l’être humain est la conscience de sa propre existence, de son individualité unique et de celle des autres qui l’entoure. De même, il est conscient de sa propre souffrance, de sa mort et de celle de ses pairs. 

 

Doué de cette empathie, on peut considérer toute action posée au-delà des besoins de survie primaire comme étant « élevée ». Il s’agit en effet des 3 étages supérieurs de la pyramide de Maslow (4). Les besoins d’appartenance, de reconnaissance et de réalisation personnelle sont tous reliés au désir fondamental de connecter avec l’autre, d’expérimenter des contacts authentique, de comprendre et d’être compris, au sein de la communauté, de la famille, de l’amitié et du couple. Tel que le mentionne l’auteure américaine Kim Krizan dans le film Waking Life, c’est pour faire l’expérience de ce moment remarquable, mais éphémère, que nous vivons. (5)

 

Bien que selon moi les dons de la conscience et de l’empathie soient « divins » et en harmonie avec le message de la foi, il est sans doute plus facile de le rationaliser de cette manière.

 

Trouver sa mission

 

Si on accepte le principe que l’équilibre et l’harmonie universelle passent inévitablement par la richesse des relations humaines, il est raisonnable de penser que chaque relation approfondie dans l’amour et le respect et qui apporte du bonheur à tous les individus impliqués est en soit un pas important dans la direction d’un monde meilleur.

 

Pour pouvoir tirer le maximum d’un échange profond avec les autres, il est naturel de penser qu’il est important d’y entrer avec le meilleur de soi-même, explorant notre plein potentiel. Pour aider les autres à trouver le bonheur, il faut être heureux soi-même.

 

Pierre Morency (6) décrit longuement dans son livre le principe de rôle de vie. Il explique l’importance de trouver sa propre passion : l’activité dans laquelle on excelle et qui nous procure le plus de satisfaction. Il invite à s’interroger : Si j’avais tout l’or du monde, après avoir acheté toutes les maisons, les voitures et les voyages qui me font envie, qu’est-ce que je ferais? C’est dans cette question qu’on peut commencer à trouver le sens de notre vraie « mission ».  La réponse est différente pour chacun de nous et c’est ce qui fait du monde un endroit merveilleux ou chacun est libre de trouver la place qui lui est propre.

 

Sans être une mince tâche en soi, l’accomplissement de notre mission prend toute sa dimension dans le partage avec les autres. Lorsqu’on entame le grand projet de notre épanouissement personnel, on arrive à un point où l’on souhaite partager les fruits de notre travail et faire prendre conscience aux autres de leur propre potentiel dans leur recherche personnelle du bonheur. Lorsque qu’on s’absorbe et qu’on investit notre énergie dans une activité qui profite aux autres, la valeur de notre mission et le sentiment d’élévation qu’on en retire sont alors exponentiels.

 

Reposons-nous la question de Pierre Morency à une autre échelle : Après avoir conquis l’univers technologique pour créer un monde où tous les gens mangeraient à leur faim et vivraient sans souffrance, qu’est ce qu’on ferait?  Selon moi, on prendrait le temps d’entretenir de vraies relations avec nos pairs, sans instinct de jalousie ou de compétition. L’accumulation matérielle et la conquête territoriale, qui sont des activités conditionnées (parfois compulsivement) par la peur du manque, deviendraient tout simplement inexistantes.

 

Concrètement, devant la guerre, les fléaux, la souffrance, les changements brutaux et la mort, la seule arme efficace, permanente et incontestable que chaque individu peut employer, chaque jour, gratuitement, est l’amour et la compassion pour ses proches et, ultimement, pour tous les êtres humains, même (et surtout) ceux qui nous font souffrir.

 

Que l’on croit ou non à une existence après la mort, nos actes sont finalement la seule chose qui perdure après notre extinction et qui, même s’ils se diluent avec le temps, continuent d’influencer et enrichir les générations futures et les individus qui viendront après nous. Si l’on accepte d’autres vérités comme l’existence de Dieu et la relativité temporelle, on comprend alors la transcendance et l’éternité de chaque acte de bonté.

 

Une lueur d’espoir

 

On dit parfois qu’on peut prendre le pouls d’une société en observant l’essence de la création de ses artistes. Ces dernières années, je constate parmi les artistes professionnels que j’admire le plus que plusieurs d’entre eux ont vécu un événement majeur ayant remis en question leur perception de l’univers et que leur création s’en est trouvée grandement changée (Anne Rice, Stephen King, David Bollt, Alex Gray…), qu’ils se sont « réveillés ».

 

En considérant l’idée de la mémoire collective de Rupert Sheldrake (5), chaque être n’a pas à être individuellement éveillé à un nouvel état de conscience. En atteignant un état donné, les êtres partageraient cette nouvelle fréquence par simple contact de proximité avec les êtres qui l’entourent, les encourageant à développer inconsciemment le même état. Lorsqu’une certaine masse critique d’esprits est éveillée dans l’inconscient collectif, le poids de l’idée serait alors suffisant pour se propager instantanément dans tous les esprits, créant ainsi un renversement instantané et global. 

 

J’espère le début d’une nouvelle aire où l’on imaginera le futur en terme d’avancée sociale plutôt que matérielle et que l’humanité se souvienne de la fondamentalité des vérités exprimées dans mon article. Je pense que cette conscience est en pleine émergence et que l’action de connecter les gens entre eux par des moyens comme l’internet et la multiplication de mesures d’aides à tous les niveaux de la société sont des exemples de cette nouvelle conscience.

 

Dans notre vie active contemporaine, il est facile d’oublier la magnificence de l’œuvre de Dieu et des hommes. Il est pourtant crucial de garder un bon moral et un esprit positif. Dans la contemplation de la nature et des arts ou en écoutant certains films ou certaines musiques, je ne peux faire autrement que de m’émerveiller de l’élévation de l’esprit. Puisque chaque pensée conditionne nos actes, il est important (du moins à mes yeux) de se détacher de toute forme de pollution mentale (entre autre par les médias ou le contact de certaines personnes négatives de notre entourage). Cultiver l’optimisme, c’est cultiver la liberté.

 

Durant longtemps, j'ai moi-même ressenti le « mal de vivre » (oh et je me bas tous les jours encore avec!) et j’entretenais beaucoup de fatalité face au futur. Mais à la lumière de mon cheminement, j’affirme maintenant partager la vision de l’Astrophysicien Hubert Reeves. I ne considère pas l’humanité comme une erreur de l’évolution. Il trouve ses raisons d’être optimiste en l’avenir dans la nature même de l’optimisme, «une énergie qui crée l’énergie et dans la force continuelle qu’il retire de son premier amour, admirer les étoiles et sa planète préférée, Vénus». Il écrit : «C’est un sentiment profond d’être seul devant le ciel, une sensation intense».» (2)

 

 

Références

Ishmael – Daniel Quinn

Hubert Reeves - http://www.thecanadianencyclopedia.com/

The complete I Ching – Alfred Huang

Maslow’s hierarchy of needs - http://en.wikipedia.org/wiki/Maslow's_hierarchy_of_needs

Waking Life - http://www.imdb.com/title/tt0243017/

Demandez et vous recevrez – Pierre Morency

 

Voir aussi :

Rupert Sherldrake - http://en.wikipedia.org/wiki/Rupert_Sheldrake

Holistic public sociology – Vincent Jeffries – http://www.sorokinfoundation.org/public.html

Écrire commentaire

Commentaires: 0